Eh bien ! c’est elle ! l’étoile du Berger, l’étoile du Matin,
qui nous éclaire à l’aube, quand nous lâchons le troupeau, et
le soir, quand nous le rentrons : c’est elle, l’étoile reine, la belle
étoile…. Frédéric Mistral
Le berger parle peu… Souvent le regard porté au loin, surveillant son troupeau et le travail de ses chiens. On le voit souvent, appuyé sur son bâton, sur les contreforts du Galibier, le regard posé au loin, sous son grand chapeau, dans son long manteau noir, au détour du Colomban … Parfois, il descend au village, marchant au milieu de la route. Il vient chercher l’indispensable à sa vie solitaire, et parfois le réconfort d’une famille amie.
« Voilà, il faut que tu parles de Madame Jallade… Elle ne viendra plus… »
Dans un creux des Rochilles, sous les Mottets, dans son chalet de mélèze et de pierres, elle perpétuait la tradition de la transhumance : des moutons et des chèvres aussi. Le randonneur était surpris, à cette altitude, de rencontrer cette dame à l’accent chantant de Provence, qui proposait quelques fromages bien puissants et son humour de « La Crau ». Elle était là, dans des conditions de vie rustiques et précaires, depuis des lustres…
Elle repose maintenant dans un petit cimetière de sa Camargue natale, et laissera un grand vide là-haut, dans ce petit coin du Galibier…
Alors, pour « Dudu », pour tous les bergers de Valloire, les résidents et les transhumants, pour ce qu’elle représentait pour les montagnards et les promeneurs, nous avons écrit ces quelques lignes, en souvenir d’un berger dont l’étoile ne brillera plus …
Article du Dauphiné Libéré, édition du 7 Mars 2005.
Si j’avais été à la place de ce journaliste, j’aurais continué comme ceci :
Que deviendrons-nous lorsqu’ils auront tous disparu ? Combien de temps encore nous reste-t-il, pour voir s’écouler, comme de grandes rivières, ces flots de brebis sur les contreforts de nos montagnes ? Cette transhumance, timide en 1930, plus importante dans les années 50, qui venait à pied par le Galibier et le Télégraphe ; ces cloches à mouton, ces chèvres espiègles et agiles qui mènent le troupeau ? Ces moments de silence, quand s’endorment les animaux et que le berger veille dans le froid de l’altitude …
La magie s’éteindra bientôt, quand plus personne ne reprendra le flambeau …
Il faudra bien alors se contenter du fromage de chèvres nourries aux croquettes de poisson, et du mouton de Nouvelle Zélande en barquette sous vide.
Et penser au bon vieux temps, devant des photos de berger jaunies, épinglées dans notre armoire aux souvenirs perdus, que nos enfants ne comprendront plus …
Ours Polaire Valloire
Photo : Bernard Grange , de la collection perso de « Dudu« .
Nostalgie d’un temps révolu ? Emotion fugace lorsque la mort rattrape un peu des souvenirs ? Tapis dans l’ombre ils étaient… et regardaient du haut de leur âme, de leur vie, les chaussures racler le sol et les chaînes mordre la neige tassée.
Déjà, ils n’étaient depuis longtemps qu’un souvenir du passé, patrimoine fragile non protégé où leur image dure et tendre à la fois apparaissait derrière une vitrine comme déjà mort.
Leur vie n’est plus qu’une anecdote, un symbole vieilli que l’on ressort pour prouver l’authenticité du lieu.
Paradoxe ultime de l’humain voulant faire un arrêt sur images du passé en courant vers les armes… quelques larmes versées vers un patrimoine en perdition mais déjà le dos tourné comme une épreuve perdue d’avance…
C’est triste … ça s’arrête donc là ?
Déjà bien loin de la sauvegarde du patrimoine, juste une pensée émue pour se rappeler, quelques paroles de regret et de colère mais bien vite l’uniforme est repris dans la machine infernale …
4 remontées, ça vaudra bien plus qu’un tas de fromage et un sourire par-delà les montagnes.
Déjà perdus, déjà sacrifiés, ils ne sont plus là que pour les souvenirs …
Heureusement, il existe par-delà des sommets de vrais bergers perdus loin du béton, fichés dans le sol, ils ne se voient et ne parlent que pour quelques randonneurs amoureux, leur troupeau s’étale sur des versants entiers et leur cheval harnaché d’un simple licol broute tranquillement alors que les marmottes timides se cachent devant les chiens.
Il existe encore des lieux préservés où seul le pas est autorisé et où seuls les bêlements résonnent dans le silence parfait. Le lieu existe pour lui-même et vit par autre chose que des vacanciers en mal de souvenirs authentiques. Rare … précieux … ils ne sont pas préservés au milieu de projets de futur, ils ont eu la chance de pouvoir continuer à vivre dans un coin qui n’a pas été attaqué par l’homme …